L’alouette des champs
Cette fois-ci, le printemps semble vouloir s’installer pour de bon. C’est du moins ce que nous claironnent les oiseaux dès le lever du jour. Les grives et les merles font étalage de leur répertoire varié ainsi que les rouge-gorges tandis que les mésanges martèlent leur refrain métallique. On n’attend plus que l’alouette.
En s’élevant à la verticale dans les airs aux premières heures du jour, l’alouette ne fait que reprendre un parcours ancestral. On raconte en effet que dans les temps les plus anciens, c’est elle qui détenait la clef du paradis comme l’indique l’étymologie populaire de son nom en breton : an alc’houeder, c’est-à-dire, celle qui détient la clef.
C’est elle qui tous les jours descendait sur terre pour chercher les âmes des défunts et les conduire aux cieux.
A chaque ascension, comme pour se donner du courage, elle débitait ses trilles à tue-tête. Mais si le gai babil à l’envol plaisait à tous, ce n’était plus le cas lors de la descente et la répétition de ses Diu, Diu, Diu, nom de Dieu, nom de Dieu, lui coûtèrent sa place.
Elle fut licenciée par Dieu le père et reçut le surnom de evn touer Doue, « oiseau qui jure le nom de Dieu ». Comme on le sait, elle fut remplacée par saint Pierre.
Aujourd’hui encore, elle regrette ce bon vieux temps, mais elle ne renonce pas à retrouver son emploi de portier du paradis, porzhier an neñv.
C’est pourquoi elle refait si souvent le voyage vers l’azur, implorant son remplaçant pour qu’il lui ouvre à nouveau les portes célestes. Dès les premiers coups d’aile, elle se fait suppliante et promet de n’être plus grossière, cherchant à faire vibrer la corde de la miséricorde :
Pêr, Pêr, digor an nor din,
Biken james na bec’hin !
Pierre, Pierre, ouvre-moi la porte,
Jamais plus je ne pècherai.
Mais la place est bonne et Saint Pierre qui tient à sa fonction, reste de marbre et ne se laisse pas apitoyer par tant de jérémiades. L’alouette poursuit pourtant sa palabre qui semble interminable. À force de gonfler sa petite poitrine, elle finit par en perdre le souffle et doit se résigner. En plongeant vers le sol comme une pierre, elle jette ses dernières forces pour crier son indignation et se remet à blasphémer :
Diu, diu, diu, Diu…
Nom de Dieu, nom de Dieu.…
DG