Intervention de Serge Boutégège à la Rencontre Mensuelle du 3 novembre 2017.
« Je cultive le bonsaï depuis plus de 30 ans, pour la majorité des arbres obtenus depuis la bouture ou la graine.
Enfin bon ! je possède tout de même quelques arbres achetés, histoire de me stimuler…
Pas d’arbres prélevés (yamadoris) dans ma collection, pour la bonne raison que les sujets sont absents de nos régions de plaine.
Avec le recul sur une telle période il est permis enfin de me retourner pour appréhender le chemin parcouru….et celui qui reste à faire, les bonsaïs étant, par définition, en constante évolution.
Je n’ai eu ni l’opportunité, ni les moyens (et l’envie ?) de m’offrir la formation par un maître japonais ;bien entendu, je n’ai jamais mis les pieds au Japon (enfin, pour le moment !).
Car c’est bien la passion des arbres, qui m’ a conduit, il y a plus d’une trentaine d’années, à vouloir « reproduire » ces messagers du cycle immuable des saisons : à la lecture des livres j’ai compris que cela était possible : ma passion pour les bonsaïs était née, et plus particulièrement celle des feuillus dont les transformations saisonnières m’ont toujours ému et fasciné.
Au début des années 1980 j’achète mon premier bonsaï, un acer palmatum « premier prix » qui me fournira mes premières boutures.
En effet, comme je le rappellerai par la suite, nombre d‘ acer palmatum type de ma collection sont les descendants directs de ce premier bonsaï mort à la fin des années 1990 de la verticiliose.
Car très rapidement j’ai aspiré à créer les bonsaïs de « toutes pièces », c’est à dire en partant de la bouture et du semis, convaincu dès mes débuts que cette voie était réaliste et enrichissante (j’étais
jeune à l’époque !), en contre-courant de la tendance « démonstrative » des conifères yamadoris « structurés » en quelques heures à force de torsions et de bois morts.
Cette voie « culturale » trouve sans doute sa source dans mon âme profondément jardinière : bien avant de cultiver des bonsaïs, j’ai cultivé des jardins et fait prospérer fleurs et légumes. Par ailleurs ma passion des bonsaïs ne m’a nullement détourné de mes activités jardinières.
Enfin, à travers mes bonsaïs, je ne me considère pas comme un artiste, mais comme un ambassadeur de la beauté sublimée des arbres, de leurs cycles.
L‘ESTHETIQUE DES ARBRES
Aimer les arbres, c’est s’imprégner de leur beauté et de l’environnement qui les a façonnés,
Les Japonais l’ont compris en codifiant des styles conventionnels directement inspirés des arbres façonnés par leur environnement,
En voici quelques exemples :
Chêne isolé dans un champ (Morvan) s’étant développé sans contrainte ni concurrence dans un environnement tempéré.
Il appartient au style au style droit formel ainsi schématisé :
En bonsaï, acer palmatum issu de graine :
Autre exemple chez ces pins de Haute Loire : on retrouve le style droit formel sur l’arbre de droite et le style « lettré » chez l’arbre de gauche,
ce dernier se caractérisant par l’absence de branches basses, la végétation se trouvant concentrée sur la cime.
Style « lettré » schématisé ci-dessous :
Autre exemple avec des bois morts qui trahissent des conditions tourmentées : neige, vent, foudre, etc..
.
Pin isolé en Haute Loire sur le plateau du Mézenc, altitude 1200m : les conditions climatiques ne permettent pas un fort développement en hauteur,
l’arbre est incliné et trapu mais toutefois dense en raison de l’absence de concurrence pour la lumière.
Ci-dessus : style droit informel ainsi interprété en bonsaï par ce mélèze issu de graine.
Groupe d’arbres sur le plateau d’Aubrac.
Interprétation dans le style « forêt ».
Ainsi une bonne quinzaine de styles ont été codifiés par les Japonais.
En conclusion : si le jardin, par sa structure et l’association des plantes, est une représentation idéalisée de la nature voulue par son propriétaire, le bonsaï est une représentation stylisée et esthétique de l’arbre.
Toutefois, si, comme dans toute activité artistique, l’acquisition des règles est fondamentale, il est permis, et même conseillé de s’en affranchir, voire les transgresser.
Car l’art du bonsaï est en constante évolution, divers courants apparaissent, la tendance actuelle étant à des arbres plus naturels moins « codifiés ».
L’évolution concerne également les méthodes de culture, en phases avec la connaissance accrue de la physiologie végétale (maîtrise des substrats*, de la fertilisation, de l’arrosage, du transfert des arbres prélevés, etc…).
Pour conclure un bonsaï réussi doit éveiller la sensibilité et susciter l’émotion ; cette règle s’applique dans tous les arts (sans oublier les jardins) et le bonsaï n’y échappe pas,
*Je n’utilise pas le terme « terre » qui prête à confusion comme on le verra plus loin.
DE L’ARBRE AU BONSAÏ
Si l’on se réfère à la définition purement étymologique un bonsaï c’est un arbre dans un pot ou sur un plateau : Conclusion : c’est d’abord un arbre….CULTIVE dans un pot
Ce n’est ni un arbre nain, ni un arbre sculpté. Ces deux derniers qualificatifs sont abusifs car :
– le nanisme est un caractère génétique acquis par adaptation sélective au milieu (saule rampant des climats arctiques), soit artificiellement (cultivar horticole).
– la sculpture relève des arts plastiques ; on ne sculpte pas un végétal : on le met en forme par la taille, et/ou la ligature.
Pour bien s’imprégner de « l’esprit bonsaï » il faut comprendre une réaction que développe le végétal comme tout être vivant : l’accommodat.
L’accommodat se définit comme l’adaptation d’un végétal à un environnement s’éloignant du milieu optimal de l’espèce considérée mais toutefois capable de satisfaire aux exigences vitales de l’espèce dans la limite de ses tolérances.
Dans le cas qui nous intéresse il s’agit simplement des arbres qui réduisent leur taille sous l’action de conditions hostiles telles le vent violent, la neige, un sol nourricier très réduit….et nous font penser aux bonsaï.
Car qu’est-ce qui caractérise justement un bonsaï ? Réponse : le volume de substrat limité par la taille du pot.
On peut donc dire qu’un bonsaï est un arbre mis en situation d’accommodat par la culture en pot,
J’ai bien dit : culture.
Ce qui implique qu’on s’attache, à développer la vigueur de la plante et à l’entretenir : comme on le verra plus loin ce point est capital pour maintenir le bonsaï dans la durée, le faire évoluer et l’amener à survivre à son propriétaire, tout comme ses congénères dans la nature.
Un bonsaï n’est pas un arbre « martyrisé »,
On n’empêche pas l’arbre de se développer : il se développe à l’échelle du volume de substrat disponible dans le pot : car si un bonsaï ne grandit pas (= ne devient pas grand), il est amené à se développer(= à s’épanouir, se ramifier, s’épaissir…). Ce dernier point est capital, car un bonsaï qui ne se développe pas périclite.
Mais, à la différence des arbres en situation d’accommodat dans la nature, le bonsaï, à l’issue de diverses interventions, est stylisé par la main de l’homme pour évoquer les grands arbres de toutes formes, y compris celles qui ne seraient pas viables en conditions difficiles (style rigoureusement vertical par exemple).
Par ailleurs deux traits essentiels caractérisent l’accommodat : il est réversible et non héréditaire, à la différence du nanisme évoqué plus haut ; par exemple, le bronzage est un accommodat chez l’homme induit par l’exposition au soleil et disparaît dès que ce facteur cesse ; si par contre cette exposition au soleil dépasse les limites de tolérance, c’est le coup de soleil, puis l’insolation…et enfin le coup de chaleur et la mort.
Autrement dit:
– un bonsaï sorti de son pot et planté en terre redeviendra un arbre de grande taille.
– des graines récoltées en montagne sur des hêtres rabougris donneront en plaine des arbres élancés au fût rectiligne (et réciproquement).
– de même et très logiquement des graines récoltées sur un bonsaï et semées en terre donneront des arbres de grande taille.
Il n’existe donc pas de graines de bonsaï.
Un bonsaï c’est :
– un arbre cultivé en pot dans un substrat adapté dont on maintient la vigueur à force de fertilisation adéquate et de taille des racines lors des rempotages,
– suggérant l’arbre dans la nature, dans le respect des caractéristiques de l’espèce.
– un arbre en constante évolution
Un bonsaï ce n’est pas :
– un arbre mis dans un pot « pour qu’il ne pousse pas »,
– un arbre léthargique maintenu en survie,
– un arbre nain.
– un arbre sculpté
LES SUBSTRATS*
* Par « substrat » on entend « support de culture ».
Pourquoi ne pas cultiver les bonsaï dans un mélange de terre de jardin et de terreau ?
Encore une fois, partons de ce qui se passe dans la nature : bien que les racines explorent en profondeur un grand volume de terre, la couche superficielle est la plus nourricière car elle est le siège d’une activité biologique intense : aération par les vers de terre et par les racines de la végétation herbacée, décomposition et minéralisation des débris organiques (feuilles et organismes divers) accumulés sous forme de litière en milieu forestier, etc…
Toutefois, l’observation d’arbres en bordure de falaise ou de chemins creux permet de constater que la masse des grosses racines,essentielles pour l’accumulation de réserves, plonge très profondément dans les couches minérales et rocheuses dépourvues de toute matière organique.
En pot, ni litière, ni minéralisation, ni vers de terre ; par ailleurs, en deçà d’une certaine taille, terre et terreau se tassent, comprimant les racines dans un milieu asphyxiant ; les problèmes sanitaires surgissent rapidement car dans l’espace réduit d’un pot aucune régulation du milieu n’est possible.
Pour cette raison, il est INDISPENSABLE d’utiliser des substrats :
– stables, c’est à dire ne dégradant pas par tassement, ou sous l’action des cycles de gel/dégel.
– stériles biologiquement et neutres chimiquement
– ayant une forte capacité d’échange cationique, c’est à dire ayant la propriété de fixer les éléments issus des engrais organiques pour les restituer aux racines.
– Drainants.
Pour ce faire on utilise les substrats japonais à base d’argile en grains (AKADAMA) mélangé à du sable grossier pour parfaire le drainage, les boulettes d’engrais en surface assurant l’apport de matière organique ; ainsi, on reconstitue les conditions naturelles évoquées plus haut,
En résumé, comme dans un aquarium, on recrée de toutes pièces un milieu favorable en « vase clos ».
AU FIL DU TEMPS
Ces quelques exemples résument l’évolution de la plante vers le bonsaï sur une trentaine d’années, Au commencement était la bouture.
été 1983 : boutures enracinées d’érable du Japon.
Et voici le destin de 3 de ces boutures faites le même jour, elles-mêmes issues de la taille d’un bonsaï.
1) Vers un arbre style « incliné » (non prédéfini à l’avance),
En mai 1985, suite à une première taille, ce n’était qu’un « bâton en manivelle ».
A l’époque, je n’avais aucune idée du futur bonsaï ; pas de miracle, il faut attendre et se laisser guider par la plante, c’est un principe fondamental.
*Notez l’utilisation de terreau : j’étais à mes début !
2 ans plus tard, une allure broussailleuse, dans le doute, on laisse pousser sans taille.
1989 : et si on le mettait sur une pierre ?
Bof, pas terrible.
Une vingtaine d’année plus tard par une belle journée d’automne : la pierre n’est plus qu’un lointain souvenir, la forme générale est acquise.
Eté 2015
2) Vers un style défini dès le départ,
Inspiré par un article traduit du japonais expliquant la formation pas à pas d’un érable dans le style
« troncs multiples sur une racine rampante » ,(Ikadabuki en japonnais) j’ai voulu tenter l’expérience en partant d’une bouture en 1983.
Voici l’évolution :
Départ identique à l’exemple précédent.
….mais résultat différent, en 1986.
Juin 1988.
Décembre 1991
Janvier 1994 : après la mise en forme des troncs lors d’un atelier animé par un « maître » (professionnel japonais cultivant le bonsaï) de passage en région parisienne ; la face de la composition a été inversée.
Été 1997.
Aspect actuel au fil des saisons :
3) Une forêt à partir de graines
Germination des graines d’érables palmés en 1992.
La forêt en 1994.
Aspect actuel, aucun arbre n’a été déplacé. »
Article et photos de Serge Boutégège