Le champignon et le crapaud
En dépit des nombreuses mises en garde contre la toxicité des champignons, des gens s’y laissent encore prendre et tous les ans, c’est la même chose, on cite, ici et là, des cas d’empoisonnement.
Aujourd’hui l’information passe par les journaux, la radio ou la télé. Autrefois, c’était le langage populaire qui se chargeait d’écarter des champignons ceux qui auraient pu être tentés de les manger. Comment ? En leur donnant des noms susceptibles de faire peur ou plutôt de susciter le dégoût. Ainsi, en breton, on a associé le champignon au crapaud.
L’animal en effet est des plus répugnants, même si l’on connaît les services qu’il rend aux jardiniers. Avec son corps gonflé de purulentes pustules il a de quoi faire reculer ceux qui s’en approchent. De plus, l’Église en a fait le symbole de la luxure et de l’avarice. Sur le porche du sanctuaire de Saint-Sauveur à Dinan on voit une sculpture datant du Moyen-âge représentant une femme nue dont les seins sont tétés par un crapaud et aussi par un serpent, autre animal redouté.
Au XVIIe siècle, les tableaux de missions du Père Maunoir étaient ainsi légendés : « An avarisdet a so represantet e furm an toussoc pini a lavarer ne gret dibry leiz e goff a zouar, rac aoun na vanque deza » l’avarice est représentée sous la forme du crapaud qui, dit-on, n’ose manger plein son ventre de terre, de crainte qu’elle ne vienne à lui manquer.
Rien d’étonnant donc à ce que les bretonnants du peuple nomment sans distinction d’espèce le vénéneux végétal : kabelloù-touseg, tokoù-touseg, chapeaux de crapaud, boned-touseg, bonnets de crapauds. On pourrait croire que le vilain batracien s’en nourrit car on lui donne encore les noms de boued-touseg, nourriture de crapaud, ou mieux encore bonboioù-touseg, bonbons de crapauds.
Ce n’est pas tout. Non seulement il les souille en les mastiquant mais il s’assoit aussi dessus et l’on parle alors de skabelloù-toñseged, tabourets de crapauds. En Anglais, on ne distingue que deux espèces, dont une seule est comestible, c’est le petit rosé des prés, nommé mushroom outre Manche. Tous les autres sont considérés comme du poison et portent le même nom, toadstools, autrement dit, comme en breton, tabourets à crapaud.
On connaît cependant un champignon que les enfants se plaisent à écraser sous leurs chaussures, hier leurs sabots, pour déclencher un petit nuage de poussière. Il s’agit de la vesse-de-loup, littéralement traduite en breton louf-bleiz, ou encore kaoc’h-bleiz, fiente de loup. Le loup a en effet cette réputation d’être « un animal vesseur ». Mais on revient très vite aussi vers l’hideux batracien avec ces autres noms : brammtonseg, pet de crapaud ou encore, kalon-touseg, coeur de crapaud et u-touseg, oeuf de crapaud en fonction de sa forme et de sa couleur.
Pour passer des animaux venimeux à de petits êtres fantastiques, il n’y a qu’un pas…de danse. En effet, aujourd’hui encore, on remarque parfois comme des cercles brunâtres dans l’herbe de certaines prairies. Autrefois, on attribuait ces traces au piétinement des lutins ou des sorcières dansant au clair de lune. D’où le nom de ronds de sorcières qu’on entend ici ou là et sur lesquels poussent des champignons. Ces derniers, dit-on, servaient d’escabelles aux korlandoned, les korrigans du Trégor, sur lesquelles ils se reposaient après avoir effectué leurs rondes endiablées. Cette croyance était une raison supplémentaire pour inciter les gens à s’en écarter.
Tout ça pour dire qu’en Bretagne autrefois, les champignons ne figuraient pas au menu. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui mais cela n’empêche pas de s’en méfier quand même.
DG